Une langue ne saurait vivre et survivre sans statut lui assurant une existence sociale, économique et culturelle, seul à même de la promouvoir sur le marché linguistique. C’est essentiel !
Quelque 6500 langues sont employées à travers le monde. Il en disparaît près d’une centaine chaque année. Disparaissent celles qui ne bénéficient pas d’une reconnaissance officielle ou légale, nationale ou régionale. Pour se rendre bien compte de ce qu’un tel statut devrait contenir et de l’ampleur de la tâche, nous proposons un exemple de charte linguistique pour l’Alsace qui serait à négocier entre l’Etat et les Collectivités Territoriales. Cette charte serait à mettre en œuvre conjointement par l’Etat et les Collectivités Territoriales ou que par ces dernières après avoir obtenu le transfert de compétences nécessaires à son application.
Le statut que nous préconisons conserve évidemment à la langue française son rôle de langue constitutionnelle, officielle et nationale. La co-officialité partagée avec la langue française demandée pour la langue régionale ne concerne que les domaines non régaliens (autres que : défense, police, monnaie, justice et politique étrangère) de la vie publique.
En attendant une loi en faveur des langues régionales de France, nous citoyennes et citoyens d’Alsace signataires du présent Appel demandons aux Collectivités Territoriales d’Alsace qu’elles :
- adoptent dans les termes proposés ci-dessous, pour le moins dans le préambule et le titre préliminaire, une Charte linguistique pour l’Alsace,
- fassent ce faisant apparaître comme nous le faisons une demande de droit à l’essentiel,
- négocient avec l’Etat la mise en application complète de son contenu,
- mettent d’ores et déjà en œuvre toutes leurs compétences actuelles en la matière.
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Charte linguistique pour l’Alsace
Préambule
Partant du principe qu’une langue ne peut vivre et survivre que si elle bénéficie d’un emploi normal dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle, la présente Charte a pour objet de garantir à la langue régionale un tel emploi et d’abolir toute forme de discrimination et d’ostracisme à son encontre.
Considérant la situation de confinement dans laquelle se trouve la langue régionale, il est urgent de revivifier et de consolider son usage, en lui conférant un statut de langue co-officielle en Alsace dans les domaines non régaliens (autres que : défense, police, monnaie, justice et politique étrangère) de la vie publique.
Il s’agit de donner forme à un véritable bilinguisme collectif permettant à tout le monde et à chacun en particulier d’utiliser la langue de son choix, nationale ou régionale. C’est l’exception culturelle alsacienne, qui se nourrit de deux langues et n’en rejette aucune.
Cet objectif devra être atteint par la mise en œuvre d’une politique linguistique de bilinguisme, garante d’un juste équilibre, d’une saine complémentarité et d’une féconde convivialité des langues en Alsace.
Titre préliminaire
Article 1 : La présente Charte a pour objet de développer et de garantir l’usage en Alsace de la langue régionale dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle.
Article 2 : La langue régionale est constituée de l’allemand dialectal d’Alsace (forme essentiellement orale) et de l’allemand standard (forme essentiellement écrite et langue de culture de référence).
Article 3 : La langue allemande est avec la langue française une des langues d’Alsace. La langue française, langue constitutionnelle, officielle et nationale, qui bénéficie d’un plein usage dans toutes les sphères de la vie collective, partage avec la langue régionale sa fonction dans les domaines non régaliens de la vie publique. La langue régionale est élevée au rang de langue officielle pour ce qui concerne ces domaines.
Article 4 : Le bilinguisme français-allemand est officiellement reconnu en Alsace.
Article 5 : Tous les habitants d’Alsace ont le droit de connaître la langue régionale et de s’exprimer dans cette langue, verbalement ou par écrit, dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle.
Article 6 : L’objet énoncé dans l’article 1 devra être atteint dans un délai de dix ans.
Titre I : Usage officiel
Article 7 : Les services publics et les administrations doivent instaurer l’usage du bilinguisme et offrir un service bilingue.
Article 8 : La documentation, les avis, les imprimés, les formulaires et les actes officiels doivent être proposés dans les deux langues.
Article 9 : En Alsace, les citoyens peuvent utiliser la langue nationale ou la langue régionale dans leurs relations avec les services publics et les administrations.
Article 10 : Les actes privés ou commerciaux peuvent être rédigés dans l’une ou l’autre langue.
Article 11 : La signalisation et les inscriptions publiques doivent être bilingues. Les enseignes commerciales peuvent être faites dans l’une ou l’autre langue.
Titre II : L’enseignement
Article 12 : Le système éducatif en Alsace doit reposer sur une réelle politique de bilinguisme scolaire français-allemand de l’école maternelle à l’université. Ce bilinguisme constitue la base du nécessaire plurilinguisme.
Article 13 : Ce bilinguisme scolaire doit être généralisé à toute la population scolaire. Tout enfant, à l’issue de la scolarité obligatoire, doit pouvoir bénéficier d’une parité de compétence linguistique dans les deux langues : langue nationale-langue régionale.
Article 14 : La langue régionale prend le caractère de langue enseignée et d’enseignement à tous les niveaux de scolarité préélémentaire, élémentaire et secondaire dans le cadre d’une immersion au moins paritaire. Une troisième langue est introduite dès le CM1. Par ailleurs, un enseignement de l’histoire et de la culture d’Alsace est généralisé et un enseignement optionnel des langues minoritaires présentes en Alsace est proposé.
Article 15 : Un nombre suffisant d’enseignants devra être formé pour pouvoir satisfaire les objectifs de l’article 14. A terme le corps enseignant d’Alsace sera bilingue et plurilingue.
Article 16 : L’administration scolaire devra mettre en place des cours de formation continue à l’adresse des enseignants, mais aussi du grand public.
Titre III : La culture
Article 17 : L’Etat, la Région, les Départements et les Communes doivent promouvoir la culture bilingue, mais aussi l’interculturalité et la pluriculturalité dans tous les domaines relevant de leur compétence. En particulier, par des aides et des encouragements, d’une part à une expression bilingue de la culture en Alsace et, d’autre part aux réalisations plus particulièrement régionales, qu’il s’agisse d’aides aux livres, au théâtre, au cinéma, aux publications, à la communication radiophonique et télévisuelle, aux nouvelles technologies, aux manifestations culturelles… Ces Collectivités accorderont une aide particulière aux activités périscolaires et extrascolaires en langue régionale.
Article 18 : Les services publics de radio et de télévision doivent assurer une parité des langues (français/allemand dialectal et standard) dans le cadre de leurs émissions, notamment de celles aux heures de grande écoute, et, ce faisant, garantir l’expression bilingue de la culture en Alsace. Toutes les cultures présentes en Alsace doivent y trouver une place conséquente.
Titre IV : L’impulsion institutionnelle
Article 19 : Il est créé un Conseil linguistique et culturel alsacien chargé de faire des propositions et de veiller à la mise en œuvre de la présente Charte et à son application dans la durée. Il dispose des moyens nécessaires, notamment d’investigation, de contrôle et financiers, lui permettant de remplir sa tâche.
Article 20 : L’Etat, la Région, les Départements et les Communes doivent promouvoir la langue régionale dans tous les domaines relevant de leur compétence. Ils mettent en place un plan d’enseignement de la langue régionale à l’intention de leurs personnels et du grand public.
Pour une Charte linguistique pour l’Alsace
lorsque, à l’inverse, une langue jusque-là dominée accède au stade de langue officielle, elle subit une réévaluation qui a pour effet de modifier profondément la relation que ses utilisateurs entretiennent avec elle. Pierre Bourdieu in « Ce que parler veut dire »
Le droit européen en matière de langues régionales ou minoritaires n’étant pas inscrit dans le droit français, alors il s’agit d’obtenir de l’Etat un droit linguistique propre à la France et son inscription dans la loi. C’est dans l’état actuel des choses, la seule démarche possible, même si a priori elle paraît à ce jour quelque peu utopiste. D’autres régions en France (Polynésie…) en Europe (Pays de Galles, Südtirol, Catalogne…) et de par le monde (Québec, Kabylie…) ont réussi et obtenu gain de cause. Pourquoi pas l’Alsace ?
Appellation scientifique de « l’alsacien » que les Alsaciens qualifiaient de Ditsch ou Elsasserditsch tout au long de leur histoire.