Décentralisation : Anne, ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?
Il est à nouveau question de décentralisation. Cela a été le cas notamment à l’occasion de la mise en place du Conseil national de la refondation. Il en a été de même lors de la récente rencontre des parlementaires Alsaciens de la majorité présidentielle avec le ministre Darmanin.
On se souvient de l’annonce en début de la première mandature du président macron de l’annonce d’une « révolution » girondine à venir. Certes il y a eu une loi 3DS du 22 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale. Mais les girondins sont restés sur leur faim ! La France est régulièrement tentée par plus de régionalisation, mais s’en effraie très vite au moment d’entreprendre. Et pourtant…
De quelques records et travers du système
Le centralisme et le jacobinisme nous coûtent, c’est-à-dire aux Françaises et aux Français, très cher en pertes de créativité et en pertes financières, et contribue amplement au fait que la France a le niveau de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé du monde, sans pour autant que cela se traduise par un niveau de bien-être collectif inégalé. Ce système contribue comparativement à d’autres pays européens à battre des records. Il en va ainsi des dépenses des administrations publiques, de la dette publique brute, des prélèvements obligatoires, du déficit public, du solde du commerce extérieur.
A cela s’ajoute :
– qu’il y a en France deux séries de millefeuilles, celui des collectivités et celui de l’État et de son administration avec deux séries de fonctionnaires. Un total embrouillamini qui génère un gâchis d’énergie et de moyens financiers et nuit à la transparence démocratique.
– un républicanisme de l’État-nation dans lequel l’État et la nation sont bien trop confondus, tout comme la nationalité et la citoyenneté. Cette situation est source de confusion des pouvoirs.
– un parisianisme prégnant. Chaque année, le ministère de la Culture dépense 139 euros par Francilien contre… 15 pour l’habitant d’une autre région, un rapport de 1 à 9 au profit de l’Île-de-France ! Ce parisianisme est non seulement structurel, il prétend donner le ton[1].
– qu’au pays de l’égalitarisme idéologique, il existe un immobilisme social. Ainsi faut-il 6 générations pour qu’un descendant d’une famille modeste approche du revenu médian du pays, alors que ce chiffre est de 4.5 en moyenne dans l’OCDE. L’ascenseur social y est donc particulièrement lent[2].
– une instabilité institutionnelle qui en réalité se traduit par immobilisme. De réforme en réforme, de déconcentration en déconcentration, jamais la vraie décentralisation n’a été opérée, c’est-à-dire celle qui se traduirait par un vrai transfert de pouvoirs et de moyens aux collectivités.
– une monarchie républicaine qui au fond n’est véritablement ni tout à fait monarchique ni tout à fait républicaine ou quand le défaut de l’un annihile l’avantage de l’autre. Nous pouvons reprendre des propos tenus par Jean-François Revel en 1992 sans enlever une virgule. Il évoquait alors un « paradoxal mariage » alliant « l’abus de pouvoir et l’impotence à gouverner, l’arbitraire et l’indécision, l’omnipotence et l’impotence…, l’État républicain et le favoritisme monarchique, l’universalité des attributions et la pauvreté des résultats, la durée et l’inefficacité, l’échec et l’arrogance, l’impopularité et le contentement de soi »[3].
– une multiplication des règles qui atteint son paroxysme. Quelques 120000 articles législatifs ou règlementaires de plus en deux décennies ! De tous les grands pays développés, la France bat là aussi des records avec à la clé un coût financier certain et un frein majeur à l’initiative[4].
– enfin « L’épuisement et le découragement qui se généralisent dans presque toute la fonction publique sur laquelle beaucoup sinon tout repose. La police, la justice, les hôpitaux, l’enseignement et la recherche sont particulièrement touchés. Il est clair que cela ne favorise pas la qualité du service public rendu ».[5]
L’obstination dans l’erreur : un mal français ? [6] Pour beaucoup, le système français est sinon en bout de course, du moins chargé de grands défauts qui sont autant de sources du déclin national dont il est beaucoup question ces derniers temps. Nous pensons qu’une véritable régionalisation pourrait amplement contribuer à retrouver efficacité et dynamisme dans la gestion du bien commun. N’en doutons pas.
La centralisation se marque en France dans l’ancien régime d’une part, par l’institution monarchique, et d’autre part à l’époque moderne par l’autocratie napoléonienne. Ce n’est donc pas par les voies de la démocratie qu’elle s’est installée dans notre pays. Et si elle s’est desserrée, et a fait place à une certaine décentralisation, cette dernière repose davantage sur une conception administrative et technocratique que démocratique et l’État français ne reste pas moins dominé par un pouvoir hétéronome et la France un pays bien plus administré que gouverné. À ses dépens et aux dépens de la démocratie !
La démocratie appelle le principe d’union dans la diversité pour être parachevée, qui lui-même passe par la démocratie locale. Cette dernière prend tout son sens et ne peut être réalisée que par les voies d’un « fédéralisme territorial », autrement dit par le transfert de pouvoirs de décision, de parts d’autonomie à vrai dire, par l’État aux collectivités locales ou régionales dotées elle-même d’institutions démocratiques. L’autonomie en ce qu’elle est l’opposée de l’hétéronomie, est consubstantielle à la démocratie ! Mais l’autonomie est un impensé français et la régionalisation est impossible dit-on en France. Qui ne le saura pas la fera !
Pierre Klein, président
[1] L’Express du 11 juin 2019.
[2] Le Point 2558 du 11/9/2021.
[3] Jean-François Revel, L’Absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française, Éditions Plon 1992
[4] Ce n’est pas d’hier. La chose revient régulièrement sur le tapis. Ainsi par le président François Hollande en 2013 qui évoquait l’urgence et l’enjeu d’un « choc de simplification ». De son côté le président Emmanuel Macron, après avoir parlé de décomplexification, préconise maintenant plus de simplification et son Premier ministre à son tour en 2021 un « choc » de simplification. Qu’on se le dise !
[5] David Cayla in Marianne du 27 au 2/9/2021, page 13.
[6] Il en va ainsi au sujet de l’avenir institutionnel de l’Alsace. Tant de rencontres avec les instances gouvernementales ont déjà eu lieu, sans que le dossier progresse réellement. Alors même qu’il est reconnu par elles que la réforme qui a conduit à la refondation des périmètres de certaines régions ne porte pas les fruits escomptés.