Pour une mémoire globale de l’Alsace
Il est heureux que l’Alsace dispose à Schirmeck d’un lieu de mémoire consacré aux événements douloureux et mortifères de son histoire récente. Une histoire qui n’est pas à oublier et qui doit donc sans cesse être rappelée à la mémoire et servir de leçon ! Cependant, la mémoire de l’Alsace ne saurait être limitée à cette seule époque de son histoire. Devoir de mémoire oui, mais pas partiel ou partial ! Devoir de mémoire oui, mais pas sans diversité des mémoires !
Il manque à l’Alsace un lieu où les Alsaciennes et les Alsaciens puissent aussi se réapproprier d’autres parties de leur histoire, et se remettre en mémoire les riches heures de son passé. L’Alsace n’a pas été que victime au cours de son histoire et elle a aussi connu des accomplissements heureux, fructueux et enrichissants.
On ne naît pas Alsacien. On peut le devenir dans la mesure où l’on peut faire siens les éléments identificatoires de l’Alsace, ceux d’une Alsace riche d’une culture qui s’est nourrie à plusieurs sources, tant françaises qu’allemandes et proprement alsaciennes. L’Alsace n’est véritablement alsacienne que dans la confluence et la synthèse.
Non seulement les éléments identificatoires alsaciens sont quasiment absents des écoles d’Alsace, non seulement on ne fait pas véritablement en Alsace un travail collectif sur l’histoire et la culture (Geschichtsaufarbeitung, Vergangenheitsbewältigung), mais encore l’Alsace ne dispose pas de lieu consacré à son histoire et à sa culture, à toute son histoire et à toute sa culture. Un panthéon, en quelque sorte.
Que n’investit-on dans un tel lieu ! Et s’il lui était consacré autant d’argent que pour le mémorial de l’Alsace et de la Moselle de Schirmeck, qui doit d’ailleurs encore être étendu, ce serait magnifique. On pourrait même concevoir ce lieu sous la forme de centres culturels alsaciens créés dans les principales villes d’Alsace à destination de la population alsacienne et plus particulièrement de sa jeunesse, des lieux de débats, d’échanges, d’informations au sujet de la langue, de la culture, de l’histoire d’Alsace, en somme de l’identité alsacienne et de sa transmission,
L’Alsace ne saurait être réduite à la cuisine, aux coiffes, aux colombages, aux cigognes et à la choucroute. Une place doit être faite dans la mémoire alsacienne aux femmes et aux hommes de littérature, de théâtre, de science, du monde politique et économique aussi, qui tout au long de son histoire ont œuvré en Alsace et, ne soyons pas modestes, à leurs contributions majeures à la culture universelle, hélas largement ignorées.
Les identités collectives sont des constructions opérées au travers de la socialisation par la collectivité en fonction d’une stratégie identitaire. Cette dernière peut être incluante ou excluante, c’est-à-dire ouverte ou fermée à la diversité et à l’altérité. Lorsqu’on a conscience que la socialisation en Alsace ne réserve pas ou très peu de place aux éléments identificatoires alsaciens, on sait quelle stratégie est suivie : la jacobine.
Un changement de paradigme doit intervenir. Si l’Alsace veut préserver, voire reconstruire son identité, alors la collectivité ne saurait faire l’impasse sur une socialisation ouverte à sa propre altérité, sur une socialisation alsacienne. Le lieu évoqué ci-dessus apporterait une belle pierre à l’édifice et contribuerait au devoir de mémoire. Appel est lancé aux Collectivités (Région, CEA, Villes d’Alsace) qui par ailleurs, pour certaines d’entre-elles, financent le mémorial de Schirmeck, avec l’espoir qu’elles prennent leur responsabilité politique girondine devant… l’identité alsacienne.
Pierre Klein, président