On ne naît pas Alsacien. On le devient… ou pas ! On peut le devenir si l’occasion
est donnée de s’approprier les éléments identificatoires alsaciens.
Pierre Klein
Si l’Alsace a une histoire, elle n’a par contre pas de mémoire, car à vrai dire, les Alsaciens n’ont jamais eu l’occasion de faire ensemble un travail sur leur histoire et leur culture ni donc d’élaborer ensemble une mémoire collective. Et pour cause, leur histoire et leur culture, prises dans leur entièreté, restent non enseignées dans les écoles d’Alsace et sont amplement absentes des médias, publics notamment. Aussi manque-t-il à l’Alsace un récit alsacien, un récit partagé sur l’histoire et la culture d’Alsace qui traverserait la société alsacienne.
Ce que les Alsaciens s’imaginent être résulte avant tout d’une histoire, qui leur est racontée ou qu’ils se racontent à eux-mêmes. Une histoire qui comporte beaucoup de sentimentalisme, de contradictions, d’incertitudes et d’approximations, de contrevérités aussi.
Nous devenons Français en ce que nous faisons nôtre ce que l’école et les médias nous présentent de la France. Et parce que l’école et les médias ne nous présentent rien, ou si peu, de ce qui fait l’Alsace, les Alsaciennes et les Alsaciens ne peuvent pas faire leur qui ne leur est pas présenté. Et comme on ne peut pas s’identifier à ce que l’on ne connaît pas, les mêmes ne sont pas loin d’avoir atteint le degré zéro du niveau d’adhésion à « l’alsacianitude »[1].
Parler d’Alsace, c’est parler identité collective. L’Alsace n’existe pas en soi. Je ne peux pas la rencontrer dans la rue et lui serrer la main. L’Alsace n’existe, à des degrés divers, que dans la rencontre de personnes, d’identités personnelles, partageant un imaginaire et une volonté d’être et d’agir ensemble. Les identités collectives sont des constructions conduites par les collectivités politiques en fonction d’une stratégie identitaire et diffusées au travers de la socialisation dans le but de créer sentiment d’appartenance et volonté d’être et d’agir ensemble. Si une identité collective alsacienne devait exister, il faudrait qu’en premier lieu qu’il existât une collectivité politique pleine et entière et qu’en second lieu celle-ci définisse les éléments identificatoires à partager et la culture politique à construire. Mais c’est là une autre histoire.
À mon sens, il faut un récit alsacien, mais de quelle nature doit-il être, de quels concepts doit-il relever ? Faut-il un récit proprement alsacien ou faut-il un récit français intégrant pleinement la mémoire alsacienne ? Opter pour le premier nécessiterait des moyens institutionnels pour le construire, ce qui est une gageure dans le contexte du mode de gouvernance français. Opter pour le second nécessiterait une refondation de l’identité nationale au profit d’une francitude faisant sienne le principe d’union dans la diversité. C’est là une autre gageure tant le concept jacobin de l’identité nationale est inscrit dans l’habitus français.
La question n’est pas tant de savoir s’il faut un récit alsacien, tant cela me paraît évident. Elle est plutôt de savoir comment parvenir à réunir les conditions permettant son élaboration et sa diffusion ? « Die Hoffnung stirbt am letzten ! » PK
[1] Telle qu’elle a par exemple été définie par Stadler et Schickele.