L’Église catholique est-elle, devrait-elle être une Église d’Alsace en France ou une Église de France en Alsace ? La démission de Mgr Ravel pourrait présenter l’occasion d’un questionnement, qui déboucherait, pourquoi pas sur la mise en œuvre d’un recentrage sur des valeurs alsaciennes peut-être un peu oubliées ou négligées.
Église et société sont étroitement liées. La première est un élément incontestable de l’autre. La seconde imprègne la première. Une Église d’Alsace en France se justifierait par la prise en compte par elle de ce qui a fait et fait encore l’Alsace. Les grands courants de pensée qui traversent la société alsacienne s’appellent en particulier Région, Europe, Rhin supérieur, Dialogue interreligieux, Pratique religieuse, Convivialité religieuse, Concordat, Identité, Bilinguisme, Échange transfrontalier, Économie sociale et durable de marché… Une Église de France en Alsace n’intègre pas systématiquement ces données, en tout cas pas avec la même perception, le même intérêt et la même nécessité.
L’Église catholique est-elle une Église d’Alsace en France ? Si c’est oui, cela justifierait le maintien du Concordat en sa faveur. Rappelons brièvement que son statut particulier provient du fait de la non-application en Alsace de la loi française de 1905 organisant la séparation des Églises et de l’État. À ce moment-là, l’Alsace était allemande.
Après 1918, la question de l’alignement des provinces recouvrées sur la législation française s’était posée. Sur la question du maintien du Concordat, comme sur beaucoup d’autres, les Alsaciens tenaient grandement à leurs particularismes et se sont battus dans l’entre-deux-guerres pour leur maintien. En matière d’Églises, les Alsaciens étaient aux côtés de leurs Églises et les Églises d’Alsace étaient aux côtés des Alsaciens[1].
Qu’en est-il aujourd’hui ? L’Église catholique[2] est-elle encore d’Alsace ou n’est-elle pas simplement devenue une Église de France en Alsace ? Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres un alignement ne s’est-il pas opéré ?[3] Des pans entiers de ce qui faisait une approche alsacienne de la communion des chrétiens et de l’identité collective n’ont-ils pas été abandonnés[4] ? Les Alsaciens retrouvent-ils encore leurs particularismes dans leurs églises ?
Exemple[5]. Que sont devenus les Vater Unser-der du bisch[6], les groβer Gott wir loben dich et les Gegrüßet seist du, Maria [7] ? Sur ce sujet l’Église ne s’est-elle pas soumise aux tenants du monolinguisme français, qui au demeurant sont souvent les mêmes que les égalitaristes et autres laïcards, ses pires adversaires ? En institution propre à l’Alsace, elle aurait pu adopter une gestion propre de la chose linguistique alsacienne. À sa décharge, on dira qu’elle s’est soumise au principe de réalité.
Où donc se trouvait l’Église lorsque l’institution politique régionale a été liquidée ? Où est-elle lorsque les Alsaciennes et les Alsaciens se battent pour que l’Alsace retrouve une institution politique pleine et entière à même de gérer les dossiers alsaciens, y compris celui des cultes ? Elle apparait aujourd’hui comme hors sol, hors politique ? Pourquoi cet effacement ? Ne se sent-elle pas concernée, considérant peut-être qu’elle est au-dessus de ces réalités et qu’elle traite de son avenir directement avec l’État, par-dessus donc la Région ? Beaucoup de questions, resteront-elles sans réponse ?
Si l’Église catholique d’Alsace se dissocie de la société alsacienne est-elle en droit d’attendre que celle-ci la soutienne lorsque ses intérêts propres sont remis en question ? Le jour pourrait venir où elle se retrouverait seule face à ses opposants.
Pierre Klein, président
[1] En 1924, 50000 Alsaciens manifestaient place Kléber à Strasbourg en faveur de l’exception culturelle et cultuelle alsacienne.
[2] Pour ne parler que d’elle.
[3] Alors que le catéchisme était enseigné en langue allemande de longue date. Si donc il l’était encore en 1940, à partir de 1945, il devait l’être obligatoirement en langue française. Il aurait aussi pu être bilingue. On ne l’a pas fait, pourquoi ?
[4] Alors que la pratique religieuse était il y a 20 ans encore très nettement supérieure en Alsace par rapport au reste de la France, devenue terre de mission, aujourd’hui l’alignement est accompli. Il est évident que des facteurs qui dépassent le cadre alsacien sont intervenus.
[5] À notre connaissance, Monseigneur Charles-Amarin Brand est le dernier « patron » du diocèse à avoir eu le souci de ne pas perdre une spiritualité exprimée en langue allemande. A ce titre sans doute, avait-il fait une lettre au clergé l’invitant à faire au moins une lecture, une prière, un chant… en langue allemande au cours notamment des messes dominicales. On se souvient que lors de la visite du pape Jean-Paul II, il avait avec ce dernier dit un « Vater Unser », en langue allemande, langue dans laquelle, disait-il, le pape alsacien Léon IX avait prié sur son lit de mort. Des messes en langue allemande étaient lues, notamment par le chanoine Wackenheim, un certain temps le samedi, il y a bien des années. À notre connaissance, cela ne se fait plus. Des demandes apparaissent de nos jours pour que le dialecte soit lui aussi présent à l’église.
[6] Expression utilisée par André Weckmann.
[7] Ses prières ruissellent sur les murs des églises catholiques d’Alsace.