L’allemand ou l’alsacien ?
Pierre Klein
Les deux, parce que l’allemand est alsacien et l’alsacien, c’est de l’allemand
Définition de la langue régionale
Il apparaît, que mis à part quelques irréductibles jacobins, l’idée que la langue régionale d’Alsace est à définir comme étant la langue allemande dans ses deux composantes, le standard et les dialectes allemands et que l’Alsace avait besoin des deux dans des fonctions propres à chacune, est beaucoup plus largement admise que certains détracteurs le font croire. L’une justifie l’autre. L’une a besoin de l’autre, chacune à sa place. L’une sans l’autre, c’est la fin des deux en Alsace.
Le premier droit culturel est le droit linguistique. En premier lieu, parce que « lorsque,…, une langue jusque-là dominée accède au stade de langue officielle, elle subit une réévaluation qui a pour effet de modifier profondément la relation que ses utilisateurs entretiennent avec elle. De sorte que les conflits dits linguistiques ne sont pas aussi irréalistes et irrationnels… que ne le pensent ceux qui n’en considèrent que les enjeux économiques… : le renversement des rapports de force symboliques et de la hiérarchie des valeurs accordées aux langues concurrentes a des effets économiques et politiques tout à fait réels, qu’il s’agisse de l’appropriation de postes et d’avantages réservés aux détenteurs de la compétence légitime ou des profits symboliques associés à la possession d’une identité sociale prestigieuse ou, au moins, non stigmatisée. » Pierre Bourdieu in Ce que parler veut dire, Fayard, Paris, 1997.
Pierre Klein 12/3/2013 www.pierre-klein.eu
Points de vue de personnalités, d’élus, de partis, d’associations…
Deux grands anciens : Edouard Reuss : «Wir reden Deutsch… (traduction) Nous parlons l’allemand. Sur le plan politique nous sommes Français et nous voulons le rester… mais ils ne doivent pas empêcher nos enfants de nous parler dans la langue dans laquelle nous avons-nous-mêmes parlé avec nos pères et mères. » 1838 et Albert Schweitzer : „Deutsch ist mir Muttersprache, weil der Dialekt in dem ich sprachlich wurzle deutsch ist.“
Alfred Kastler, Prix Nobel de Physique dans Notre avenir est bilingue : « …pour le jeune écolier alsacien l’acquisition de la langue allemande – à côté de celle de la langue française – est un droit que nous exigeons » 1968
Le Président Pflimlin adresse une lettre au Ministre de l’Education nationale, Charles Haby: « L’allemand est la forme littéraire de nos dialectes qui sont – bien que certains veuillent encore nier cette évidence – des dialectes germaniques appartenant à la famille des dialectes alémaniques… Je considère donc que l’apprentissage de l’allemand est pour un Alsacien dialectophone, l’une des formes naturelles du développement intellectuel.» 1975
Germain Muller : « Notre langue : c’est l’allemand. Notre langue maternelle, la langue dans laquelle nous nous exprimons par l’écriture : c’est l’allemand. Si nous parvenons à écrire nun certain Elsasserditsch, c’est-à-dire un dialecte allemand, c’est que nous avons derrière la structure, l’ossature de la langue allemande, le Hochdeutsch… Je suis triphasé et je fonctionne dans les trois phases… Je rêve dans les trois phases et j’utilise chaque fois le tiroir qu’il me faut et dans chaque langue… L’essentiel pour nous, c’est le bilinguisme franco-allemand… notre bilinguisme est franco-allemand et le triphasage fait que le dialecte alsacien sera toujours un phénomène d’accompagnement de ce bilinguisme. » in Germain Muller in Germain, Bernard Jenny, Bentzinger Editeur, Colmar, 1997, page 353
Dans les années 70 plus de 300 communes ont adopté la motion suivante: « constatant que l’allemand, sous sa forme dialectale ou littéraire, est depuis un millénaire et demi la langue traditionnelle de l’Alsace … »
CDS du Haut-Rhin : « le bilinguisme représente, pour l’Alsace, une richesse culturelle inestimable, qui doit être mise en valeur; tout Alsacien dialectophone peut et doit pouvoir disposer de deux langues littéraires, le français et l’allemand; aussi, l’enseignement de l’allemand doit-il être introduit au plus vite dans les programmes des premières années de l’école primaire et concerner tous les enfants; 1980
Appel des poètes, écrivains, chanteurs et militants culturels aux élus d’Alsace : « Nous vous demandons donc un engagement public dont le premier acte serait la négociation d’un statut officiel pour notre langue régionale dans ses deux composantes: le dialecte, expression orale, et l’allemand littéraire, expression écrite. 1980
« Le Conseil Régional d’Alsace: – conscient que le bilinguisme est un atout majeur pour l’Alsace et le rôle que celle-ci peut assurer pour la France au coeur de l’Europe;- reprenant à son compte les préoccupations exprimées par les Conseils Généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ;… affirme son attachement au bilinguisme… demande que soient prises en considération les mesures assurant son développement en Alsace, notamment l’introduction du bilinguisme dans l’enseignement des établissements scolaires d’Alsace; … » 1980
Le groupe des élus R.P.R. du conseil municipal de Strasbourg s’engage « d’essayer, dans le cadre et dans la limite des pouvoirs qui lui appartiennent, de contribuer à maintenir vivante et attrayante notre langue régionale, tant dans sa forme dialectale que dans l’indispensable support que constitue sa forme écrite, l’allemand… » 1980
“Unsri Gerachtigkeit”, mouvement pour l’autogestion culturelle en Alsace, organise à Sélestat les assises régionales pour les droits culturels de la population alsacienne. Les organisations présentes adoptent une plate-forme commune de revendication et de luttes. Cette plate-forme constitue une marque de plus de l’expression de la demande sociale en matière de langue et de culture en Alsace : « 2.4. La langue (allemand dialectal alsacien et allemand littéraire) et la culture régionales doivent bénéficier d’un statut social et scolaire équivalent à celui de la langue et de la culture française. 2.5. La culture alsacienne doit être comprise comme un ensemble constitué des apports français, allemand et proprement alsacien et respectée comme telle. La culture alsacienne est un élément du patrimoine national qu’elle enrichit. 2.6. Le bilinguisme est nécessaire pour satisfaire les besoins d’ordre culturel, psychologique, sociologique et économique de la population alsacienne. »
Cette plate-forme a été signée par les organisations suivantes : Parti Socialiste (Bas-Rhin), l’Union des Elus Socialistes et Républicains (Bas-Rhin), Parti Communiste (Bas-Rhin), Union Régionale CFDT, Union Régionale CGT, Ecologie et Survie, Mouvement d’Ecologie Politique, SGEN-CFDT (syndicat d’enseignants – Bas-Rhin), SGEN-CFDT (Haut-Rhin), Cercle René Schickele, Unsri Gerachtigkeit, Mouvement pour l’autogestion culturelle en Alsace. (Brochure spéciale U.G.) 1981
Jean-Baptiste Metz, Secrétaire de la Fédération du PCF du Bas-Rhin, souligna dans “Huma 7” jours « Il faut reconnaître l’allemand d’expression littéraire et dialectale comme une véritable langue de France… 1981
La revue du Parti socialiste du Bas-Rhin « Presse libre » publie, sous le titre « L’identité régionale », un texte adopté aussi bien par la commission fédérale bas-rhinoise de ce parti que par sa commission fédérale haut-rhinoise. « La réhabilitation des dialectes doit mener à leur revalorisation. Or celle-ci passe par l’enseignement de l’allemand, à la fois forme littéraire d’une langue régionale à deux composantes, dénominateur commun et « langue-mère » des dialectes qui y puisent le vocabulaire abstrait ou technique dont ils sont dépourvus… » 1981
« Le Conseil Général du Bas-Rhin, après avoir pris connaissance des travaux des commissions de l’éducation et de la culture, demande : « le développement de la culture alsacienne à l’école et notamment la reconnaissance de l’allemand comme langue régionale de France au sens de la loi Deixonne, l’allemand étant la langue littéraire de l’alsacien, langue régionale parlée » 1982
Requête aux autorités scolaires signées par plus de 500 Maires d’Alsace, par tous les députés et sénateurs d’Alsace, par la quasi-totalité des conseillers généraux, et par un grand nombre de personnalités civiles et religieuses : « la langue régionale – l’allemand dialectal alsacien et l’allemand littéraire – a subi pendant ce temps un recul considérable, à un point tel que l’on peut raisonnablement se demander si dans deux générations elle sera encore une langue d’Alsace. 1985
Recteur Pierre Deyon: « Il n’existe en effet qu’une seule définition scientifiquement correcte de la langue régionale en Alsace, ce sont les dialectes alsaciens dont l’expression écrite est l’allemand. L’allemand est donc une des langues régionales de France » (« Le programme langue et culture régionales en Alsace/Bilan et perspectives »). 1985
Adrien Finck, professeur, germaniste dans les Cahiers du Bilinguisme n° 1-2 :
« Sur la base de cette définition « scientifiquement correcte » de la langue régionale – le dialecte, c’est-à-dire l’allemand alsacien dans ses variétés locales, et la langue supralocale correspondante, l’allemand standard (« Hochdeutsch ») devra s’édifier un enseignement visant à promouvoir un bilinguisme alsacien. 1986
Eugène Philipps in L’Alsacien c’est fini? : « Les dialectes francique et alémanique que l’on parle en Alsace sont deux dialectes « germaniques », c’est-à-dire allemands, parce qu’ils relèvent du même système linguistique que l’allemand moderne » (littéraire ou standard)…1989
Les deux Conseils généraux adressaient une déclaration commune au Ministre de l’Éducation Nationale dans laquelle ils : « réaffirment leur attachement à la sauvegarde et au développement du bilinguisme en Alsace; estiment indispensable et urgent de stimuler et de développer l’enseignement de l’allemand, langue régionale dans sa forme écrite, ainsi que le dialecte » 1991
Le Recteur Jean-Paul de Gaudemar précise que « l’allemand présente du point de vue éducatif la triple vertu d’être à la fois l’expression écrite et la langue de référence du dialecte, la langue des pays les plus voisins et une grande langue de diffusion européenne et internationale. Enseigner l’allemand en Alsace participe ainsi d’une triple entreprise : soutien de la langue et de la culture régionales, enseignement précoce de langues vivantes, initiation à un culture européenne et internationale. » 1991
Manifeste pour l’identité culturelle et l’enseignement de la langue régionale : « La langue française et la langue régionale sont les deux langues de l’Alsace. La langue régionale est constituée par les dialectes alsaciens et leur expression écrite, l’allemand standard. » Conseillers régionaux signataires : RUDLOFF Marcel, WALINE Jean, SCHMITT Roland, HEINRICH Alphonse, SIEFERT Mariette, BURCKEL Jean-Claude, GENGENWIN Germain, GROSSMANN Robert, SIGWALD-DEBES Marie-Paule, VONAU Jean-Laurent, HAENEL Hubert, GOETSCHY Henri, HEIDER Jean-Paul, DANESI, René, MEINRAD Jean-Paul, STOESSEL Bernard, GUTHMANN Robert, ZELLER Adrien, LOOS François, MULLER Xavier, KRIEGER Walter, BLOT Yvan, ULLMANN-JOUSSELIN Alma, SCHULTZ François, MARTIG Robert, SCHMERBER Michel, BECKER René, SPIELER Robert, CORDONNIER Jacques, BAEUMLER Jean-Pierre, SPIEGEL Joseph, HOFFET Jean-Louis, BUCHMANN Andrée, STOECKEL Hugues, HEMONET Guy, WAECHTER Antoine, FRICK, Jean-Pierre KNIBIELY, Philippe, MOEGLEN Yveline, GEIGER Hugues, WINTERHALTER Roger. 1992
Bulletin officiel de l’Education nationale Hors-série n°2 18 juin 2003 page 21 : « …les dialectes alémaniques et franciques parlés en Alsace et en Moselle sont traitées ensemble à cause de leur parenté commune avec l’allemand, qui est leur langue écrite et leur langue de référence, et leur appartenance commune à la famille des langues germaniques… L’allemand présente en effet, du point de vue éducatif, la triple vertu d’être à la fois l’expression écrite et la langue de référence des dialectes régionaux, la langue des pays les plus voisins et une grande langue de diffusion internationale.» 2003
Marcel Rudloff : « Les Alsaciens sont des Français rhénans et alémaniques et c’est la richesse de la France que l’allemand soit ainsi l’une de ses langues.» 1995
André Weckmann : «Certains ont pensé, dans les années d’après-guerre, que le dialecte pouvait se maintenir plus authentique et plus pur s’il était coupé de l’allemand. C’était une grave erreur, car c’était le confiner dans un passé rural et petit-bourgeois, c’était l’empêcher d’évoluer dans un environnement moderne… Des dialectes dévalorisés, un Hochdeutsch diabolisé, tout devenait possible.
Ainsi, il est vain de vouloir conserver une langue pour elle-même, par simple traditionalisme avec des motivations qui sont uniquement d’ordre sentimental et folklorique. Car les contenus et les concepts véhiculés par les langues sont du moins aussi importants que les langues elles-mêmes.
En outre, confrontée à la pression scolaire et socioculturelle de la langue française, l’expression orale dialectale, éclatée en de multiples variantes, ne peut résister à cette emprise sémantique et même sa structure syntaxique s’en trouve attaquée, minée et finalement détruite. Coupé de l’allemand commun (standard ndlr), de son enseignement, de sa pratique ne fut-ce que par la lecture, le dialecte n’a aucune chance de survie. Car sa sève nourricière, il la tire de cet allemand littéraire qui a été pendant des siècles langue écrite des Alsaciens, mais aussi orale dans un certain nombre de domaines
L’alsacien et l’allemand standard sont indéniablement deux expressions d’une même langue (…) La première est plutôt orale et non uniformisée, la seconde est langue officielle de référence à l’intérieur du domaine germanophone, Dachsprache, langue-toit des différents dialectes et langue de grande communication (…). La pratique d’un dialecte élaboré, aujourd’hui, n’est possible que si l’on a une connaissance approfondie de la langue standard. Et c’est grâce à elle que le dialecte a la possibilité de s’adapter à la vie moderne sans se dévoyer dans un code-switching ‘franco-alsaco’, un ‘Pidgin-Elsassisch qui est le dernier stade avant sa disparition définitive.» in «Langues d’Alsace» 2002
Bulletin officiel de l’éducation nationale, Hors-série n° 2 du 19 juin 2003. « La langue régionale existe en Alsace et en Moselle sous deux formes, les dialectes alémaniques et franciques (….) qui sont des dialectes de l’allemand, d’une part, et l’allemand standard d’autre part ». 2003
Programmes de l’enseignement de langues régionales au palier 1 du collège, NORMENE0773549A, RLR : 525-6, ARRÊTÉ DU 26-12-2007, JO DU 10-1-2008, MEN DGESCO A1-4 « cet enseignement prend en compte la diversité des registres linguistiques : les dialectes alémaniques et franciques constituent la langue véhiculaire de certains usages personnels, sociaux et de pratiques culturelles ; l’allemand standard est la langue de référence de tous les dialectes de l’espace considéré » 2007
Conseil Général du Haut-Rhin : « Depuis plusieurs décennies le Conseil Général agit auprès de l’Education Nationale pour que les jeunes alsaciens puissent maîtriser l’allemand. Pourquoi? Il s’agit de la langue de nos voisins, bien sûr. Mais l’allemand, en tant que référence et forme standard de nos dialectes alsaciens, est aussi et surtout notre langue régionale. » 2010
Appel en faveur d’une charte linguistique pour l’Alsace : « Article 2 : La langue régionale est constituée de l’allemand dialectal d’Alsace (forme essentiellement orale) et de l’allemand standard (forme essentiellement écrite et langue de culture de référence) ». Appel signé en particulier à ce jour par : Députés : Mrs Christ, Hillmeyer, Ferry, Schneider, Reitzer, Straumann, Sénateurs : Mmes Schillinger, Troendlé, Députés Européens : Mmes Striffler et Griesbeck, M. Alfonsi, Conseillers Régionaux : Mmes Camilo, Hoeffel, Mérabet, Buchmann, Valentin, Mrs Cattin, Fernique, Waechter, Belliard, Hémédinger, Chéray, Burckel, Riebel, Conseillers Généraux du Bas-Rhin : Mrs Bauer, Brendlé, Burger, Carbiener, Heckel, Lehmann, Simler, Stolz, Zimmermann, Marmillod, Vonau, Fetsch, Jurdan-Pfeiffer, Wirth, Weil, Dann, Wolff, Zaegel, Mozziconacci, Klein-Mosser, Conseillers Généraux du Haut-Rhin : Mrs Adrian, Chaton, Jacquey, Miehé, Stoll, Weber, Muller, Bihl, Spiegel, Straumann, Des élus honoraires : Mrs Louis Jung (ancien président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), Daniel Hoeffel, ancien ministre, Henri Goetschy, Yvonne Knorr (ancienne adjointe au maire de Strasbourg), Gengenwin Germain (député honoraire), Jean-Daniel Zeter, Lorentz Jean (ancien maire de Roeschwoog), André Bord (ancien Ministre), Odile Uhlrich-Mallet, adjointe au maire de Colmar (ancienne CR), Jacques Muller (ancien sénateur), Gilbert Meyer, ancien député, Pierre Egler, 1er vice-président hon. du CG 68, Traband Gérard, ancien CR, et ancien président de la commission culture du CR d’Alsace et de l’Agence Culturelle d’Alsace, Weber André-Paul, écrivain, ancien Conseiller régionale et général (68), Goetzmann Charles, ancien maire de betschdorf, ancien CG 67, par 157 maires (Jean Rotner, Jacques Bigot, Joseph Ostermann…) et autant d’adjoints et par un grand nombre de personnalités représentatives de la société alsacienne, parmi lesquelles dont certains font autorités :Adolf Paul, professeur d’anglais retr., docteur ès lettres, Anstett Roland, publicitaire, Baumann René, professeur honoraire de l’université de Strasbourg, Berg Jean-Pierre, retraité commission européenne, Blair Philip, ancien Directeur des Institutions démocratiques au Conseil de l’Europe, Bodlore-Penlaez Mikael, responsable développement territorial CCI, Brenner Pierre, professeur retraité de l’université, Brumbt François, musicien, Comte Christian d’Andlau-Hombourg, citoyen, Crévenat-Werner Danielle, linguiste, Cronenberger Gérard, président de l’association des élus pour la langue régionale, Dalgalian Gilbert, linguiste, Dammert Alice, agrégée d’allemand retr., Dubs René, ancien CG du Bas-Rhin, Eckhardt René, consultant, Egler Pierre, 1er vice-président hon. du CG 68, Egles René, Liedermacher, Engel Roland, Liedermacher, Faust Dinah, comédienne, chanteuse, metteur en scène, membre historique du Barabli, Federmann Georges Yoram, psychiatre gymnopédiste, Frick Paul, TAS Guebwiller, Friederich François, président du mouvement européen Alsace, Froelicher Claude, président d’Eltern, Gautherot Jean-marie, retraité E.N., Gerber Jean Henri, physicien CNRS honoraire, Goetmann Charles, conseiller général honoraires, Grossouvre (de) Henri, Haag Michel, président brasserie Météor, Hadey Jean-Noël, ancien chargé de mission à l’Office pour la Langue et la Culture d’Alsace, Haeberlin Jean-Pierre, Hahn Christian, metteur en scène, Hamm Liselotte, artiste, Hamm Richard, maire-adjoint d’Illkirch-Graffenstaden, Hartmann Christophe, membre du CESER Alsace, Hartweg Frédéric, professeur émérite de l’université de Strasbourg, Heim François, professeur d’université, Heiwy Patrick, réalisateur, adjoint au maire de Schiltigheim, Herrgott Jacqueline, Hiebel Martine, retraitée et chercheuse. Hintenoch Jean-Paul, président du groupe théâtral St. Georges de Haguenau, Hoeffel Michel, ancien président de l’Eglise de la Confession d’Augsbourg, Howiller Alain, ancien directeur-rédacteur en chef des DNA, Huber Christian, médecin pédiatre, Hugel André, président Sté d’histoire de Riquewihr, Hulné Anne, Dt en droit, collaborateur du député André Schneider, Hummel Jean-Marie, artiste, Jacobi Robert-Frank, chanteur, auteur-compositeur, Jenny Alphonse, agrégé d’allemand retraité, Julien-Saint-Amand Luc, avocat, Kammerer Gérard, président du TA de Rouffach, Kauffer Maurice, professeur d’université (linguistique allemande), Klein Jacques Paul, ambassadeur, secrétaire général adj. de l’ONU, Knorr Yvonne, adjoint au maire honoraire de Strasbourg, présidente d’honneur du Modem Alsace, Kohler Jean-Robert, ancien directeur enseignement catholique, Laquieze François, ancien directeur de la DRAC Alsace, Leser Gérard, historien- folkloriste, conteur, vice-président de l’Académie d’Alsace, Lienhard Marc, professeur émérite, ancien président de l’Eglise de la confession d’Augsbourg, Lux Pascale, vice-présidente d’ABCM Zweisprachigkeit, Matter Monique, vice-présidente du comité fédéral pour la langue régionale, Mathian Henri, associé D-LINE et Retraité, Meyer Astrid, agrégée, d’allemand retraitée, Nicolas Thierry, adjoint au maire de Mulhouse, Peter Armand, Philipps Eugène, professeur agrégé d’anglais retraité, Reppel Norbert, secrétaire de Heimetsproch un tradition, Rieger Serge, Liedermacher, Roederer Christiane, auteur, présidente de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Alsace, Sarbacher Karine, présidente d’ABCM Zweisprachigkeit, Sarg Freddy, pasteur, ethnologue, Scherb Henri, président de Heimetsproch un Tradition, Schleef Jacques, directeur du festival Summerlied, Schlosser Jacques, professeur émérite des universités, Schneider-Mizony Odile, professeure de linguistique allemande, Schwander Marcel, Consul de France retraité, Siegrist Jean-Pierre, membre du CESER Alsace, Simler philippe, professeur émérite, Sorg Jean-Paul, philosophe, Sparfel Jacques, secrétaire général d’Eucor, Stehli Ralph, professeur d’université, Stern-Reff Sylvie, écrivain, Liedermacherin, Streith Jacques, professeur des universités, Troxler Evelyne, formateur, Walter Pierre, président de l’Association des Auteurs et Artistes d’Alsace, Weckmann André, écrivain, Weiss François, docteur en linguistique, Werner Robert, journaliste, écrivain, correspond. de l’Institut de France, anc. rédacteur en chef à TF1, Wicker Jean-Pierre, ancien membre du CESA, Winstein Ernest, théologien, Woehrling Jean-Marie, président de culture et Bilinguisme René-Schickele-Gesellschaft, … (liste complète sur www.ica2010.fr 2013
Définition de la langue régionale : langues parlées, langue écrite
Pierre Klein
Nommer la langue est toujours un parti pris et en même temps une identification et un signe, c’est lui donner du sens. Ainsi, le terme alsacien est aujourd’hui de plus en plus communément utilisé pour nommer la langue régionale. Ce terme est néanmoins très incomplet quant à sa signification, car il ne désigne à priori qu’un dialecte, mais laisse croire en l’existence d’une langue unifiée et codifiée dans l’espace et dans le temps. Il fait aussi l’impasse sur la problématique linguistique, historique et culturelle des liens entre les dialectes d’Alsace et l’allemand standard. Par ailleurs, on utilise aussi de manière militante et plus que dans les autres régions, l’expression langue régionale pour nommer la langue. On s’empresse d’ajouter que la langue régionale se compose des dialectes, composants essentiellement parlés et de l’allemand littéraire, composant essentiellement écrit et langue de culture de référence. En Bretagne, on dit le breton pour désigner la langue régionale et en Occitanie l’occitan, en Catalogne le catalan, au Pays basque le basque… Par breton on entend le breton standard et les dialectes bretons, c’est-à-dire la langue standard et les variantes parlées. Il en va de même pour l’occitan, pour le catalan, pour le basque… le français et l’allemand. Breton, occitan, catalan, basque, français et allemand sont des termes génériques, des hyperonymes. On s’aperçoit qu’en Alsace, l’expression langue régionale est un syntagme qui décrit certes des composantes, mais qui traduit bien des représentations et bien des malaises. Une langue donc, que l’on ne nomme pas…
Les formes parlées de l’allemand, dialectes alémaniques et franciques, sont employées en Alsace depuis plus de 1 500 ans, c’est-à-dire depuis qu’en fait l’Alsace existe. Les formes écrites de l’allemand (vieux haut-allemand, moyen haut-allemand, haut-allemand moderne), ont été utilisées en Alsace depuis que celles-ci existent, à savoir depuis le IXème siècle. L’allemand littéraire ou standard a été enseigné à toute la population scolaire alsacienne, depuis qu’il s’enseigne, durant des siècles et sans interruption jusqu’en 1945. C’est lui qui nous a permis, tout ce temps et qui nous permet encore aujourd’hui pour ceux qui le maîtrisent, de participer à une grande culture universelle. Encore au courant des années soixante, on lisait davantage les journaux en allemand, on regardait davantage la télévision allemande, on écoutait davantage les radios d’expression allemande, on priait et on chantait davantage en allemand dans les églises qu’en français. Lire Goethe, Kant, Luther, Freud, Marx, Einstein, Schweitzer dans le texte, excusez du peu. Toute notre histoire et tous nos arts et traditions populaires sont codifiés en allemand littéraire ou standard. Oui, l’allemand sous toutes ses formes était, est, une langue populaire en Alsace. Il n’a pas été importé, il est d’ici. Les choses étaient claires, on parlait les dialectes et on écrivait l’allemand. Cette dernière réalité est commune à tous les pays de langue allemande, donc aussi à l’Alsace. Parlée ou écrite, tout le monde avait conscience d’utiliser deux composantes d’une même langue, la langue allemande. La chose était d’ailleurs évidente, d’un point de vue français, lorsque la France a conquis l’Alsace, à partir de 1648. Il s’agissait pour elle de conquêtes du Roi en Allemagne, d’une population allemande de langue allemande. Ce double constat est d’importance. C’est le paradigme qui permet d’appréhender la question linguistique alsacienne.
Des Allemands de langue allemande, c’est ainsi que, selon les documents historiques, le Roi et son administration voyaient les choses. Et l’allemand est, par la force des choses, que cela plaise ou non, devenu une langue de France.
Ce n’est qu’à partir du XIXème siècle que l’on tentera, en France, de distinguer, pour ce qui est de la langue première des Alsaciens, les langues parlées et la langue écrite et ainsi de séparer les dialectes de l’allemand, qui selon cette idéologie ne participeraient pas, ne procèderaient pas de la même langue (1). Ce qui aujourd’hui encore demeure vrai là où existent des communautés germanophones, en Suisse, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Pologne… et bien sûr en Allemagne, devenait subitement faux en Alsace. Cette disjonction a évidemment pour but de faire considérer l’allemand comme une langue étrangère à l’Alsace et ainsi de soustraire celle-ci de la culture d’expression allemande et de l’universalité qu’elle représente et à terme de la germanophonie. Les dialectes ainsi privés de la langue de culture de référence ou langue « mère », ne devaient bientôt plus servir à grand-hose, sinon, au mieux, à la seule sphère privée, à une poésie très provinciale et à un théâtre très populaire, au pire, à se taper sur les cuisses, à faire de lourdes plaisanteries, à « baraguiner » ou à « hachepailler ». Ainsi, ils ne tarderaient pas à s’appauvrir et à disparaître. Mais cette privation n’étant pas suffisante, il fallait encore que les dialectes soient privés de leur véritable nom. Ainsi, les Alsaciens sont devenus dialectophones comme d’autres seraient langophones, c’est-à-dire locuteurs d’un dialecte ou d’une langue dont on ne dit pas le nom. N’a-t-on jamais dit des Bretons ou des Basques ou encore des Français qu’ils étaient dialectophones.
Alors, qu’en est-il, en dehors du français, de la langue parlée et de la langue écrite par les Alsaciens. Nos parents disaient « Ditsch » ou « Elsasserditsch », c’est-à-dire allemand ou allemand alsacien pour désigner la langue qu’ils parlaient, comme les Suisses disent « Schwitzerdütsch », allemand suisse et jamais et le terme « Dialektsprochig » leur était inconnu, tout simplement parce qu’il n’existait pas. Ce faisant ils se reconnaissaient germanophones, « Ditschsprochig » et jamais ils ne disaient dialecte et encore moins patois ; tout simplement parce que dialecte et patois ne veulent rien dire, sinon un niveau à l’intérieur d’une langue. Tout ce qui se parle est langue. Les expressions « dialecte » et « alsacien », utilisées presque exclusivement aujourd’hui, le sont depuis que les Alsaciens parlent aussi le français, et qu’ils reprennent à leur compte un vocabulaire imposé, en tous les cas et pour le moins une perception franco-parisienne des choses. C’est ainsi que l’on dit « dialecte » surtout pour ne pas dire allemand ou germanophone et commettre le péché originel. Parler le dialecte, c’est parler quoi ? Cela relève de la dissimulation. On dit aussi « alsacien » alors que celui-ci n’existe pas. On parle au moins quatre formes d’allemand en Alsace (francique rhénan palatin, francique rhénan lorrain, bas-alémanique et haut-alémanique). Cela relève de la confusion des genres.
Il serait préférable, s’agissant de la langue parlée, de dire allemand dialectal alsacien, elsasserditsch. Ainsi les choses seraient claires et linguistiquement justes. Tout comme il serait juste de préférer germanophone à dialectophone. Par ailleurs, pour ce qui concerne la langue écrite, conserver l’allemand standard me paraît d’une impérieuse nécessité, parce qu’il nourrit le « dialecte » (2), en fait une langue moderne et participe ainsi à sa survie, parce qu’il ouvre sur un paysage culturel vaste et universel, parce qu’il nous met directement en communication avec plus de 100 millions d’Européens, parce que les choses ont toujours été ainsi (ce qui n’est pas une raison), mais on ne va tout de même pas créer, ex nihilo, une langue écrite et unifiée alsacienne, se couper du monde germanophone et traduire en « alsacien » toute la contribution alsacienne à la littérature allemande, et elle est importante, hommage en passant à Arp, Balde, Brant, Bucer, Closener, Fischart, Flacke, Goll, Gottfried, Gleissener, Murner, Otfried, Pauli, Reinmar, Schickele, Schweitzer, Stadler, Tauler, Wickram (3), toute la littérature mondiale et tout ce qui s’écrit, enfin parce que l’allemand standard nous inscrit dans un environnement culturel, économique, social duquel l’Alsace a toujours participé. Les Alsaciens accepteraient-ils d’apprendre un autre dialecte que le leur. Par ailleurs, un « alsacien standard », s’il fallait le créer, prendrait un caractère beaucoup trop artificiel, aurait un effet unificateur au détriment de la riche variété dialectale existante et provoquerait, à terme, nous le répétons à dessein, une coupure du reste du monde germanophone, de sa culture et de la langue de culture de référence ou langue « mère » des dialectes, l’allemand standard. D’ailleurs, cela ne pourrait pas se faire sans puiser énormément au standard allemand. Le standard alsacien serait de toute façon du standard allemand à 80 % au moins. C’est une orientation que les Alsaciens, dans leur longue histoire, comme leurs voisins les Suisses germanophones, ou encore les Badois par exemple, n’ont jamais voulu prendre. La langue régionale possède son expression écrite, l’allemand standard, depuis des siècles et cela nous a plutôt été très utile, même si aujourd’hui elle est victime d’un rejet d’ordre psychologique et d’une discrimination institutionnelle. Ce n’est pas la langue, quelle qu’elle soit d’ailleurs, qui a fait le malheur des Alsaciens, mais le nationalisme, quel qu’il soit.
Pour toutes ces raisons, il convient d’accepter le concept d’une langue régionale composée d’une expression essentiellement orale, l’allemand dialectal alsacien, et d’une forme essentiellement écrite et langue de culture de référence des dialectes, l’allemand standard encore appelé allemand (tout court), comme il convient de nommer la langue régionale par son nom, l’allemand, et de dire que les Alsaciens sont germanophones lorsqu’ils parlent leur langue régionale. PK
(in Langues d’Alsace et pourquoi les Alsaciens renoncent-ils à leur bilinguisme/Sprachen des Elsass und warum verzichten die Elsässer auf ihre Zweisprachigkeit Editions Nord Alsace Haguenau, 2007)
(1) Le terme alsacien, nom et adjectif, ne fera son apparition dans la langue française qu’en 1752 et ne commence à remplacer le terme allemand qu’au XIXème siècle.
(2) Comment, par exemple, dire en dialecte Collectivités territoriales, banque de données ou encore avortement et carburateur ? Il faut puiser ces expressions à l’allemand standard Gebietskörperschaften, Datenbank, Abtreibung, Vergaser et les adapter en dialecte Gebietskoerperschàfte, Dàtebànk, Abtriwung, Vergàsser. Il s’agit d’une (re)lexification endogène, c’est-à-dire que le signifiant vient de la même langue.
(3) Rappelons que le premier poème (830), la première charte (1251), la première chronique 1362, la première bible imprimée 1466), la première messe (1524), le premier roman (1557), le premier journal (1609)… en langue allemande sont alsaciens.
Question de mot, mot en question : allemand
Pierre Klein
Le terme « deutsch » (=allemand) apparaît pour la première fois en 786 sous la forme latine theodiscus dans un texte de Georg von Ostia. Il trouve son origine dans l’adjectif francique de l’ouest theudiska (theudo=Volk => theudiska=populaire, ce qui appartient au peuple). Il réapparaît en 788 au Reichtag (Diète) zu Ingelheim, où il est question de theodisca lingua. Puis en 813, lorsque Charlemagne demande au clergé de ne plus prêcher uniquement en latin, mais aussi dans les langues romane et tudesque, in rusticam Romanam linguam aut Theodiscam. Theodiscus ne devait être initialement employé que par les clercs et que pour désigner ce qui est populaire, en l’occurrence la langue populaire, c’est-à-dire le germanique de l’Ouest (=bas- allemand + haut-allemand). Par ailleurs, à partir du IXème siècle apparaît dans la langue populaire et dans toute l’Europe centrale le terme frencisg (=francique). Ainsi, Otfrid von Weissenburg utilise frencisg dans son Evangelienbuch pour qualifier la langue dans laquelle son oeuvre est écrite et theodiscus dans le commentaire qu’il en fait en latin. Parler le theodicus (=deutsch) veut donc dire parler comme parle le peuple. A partir de la fin du IXème siècle, theodiscus est peu à peu remplacé par teutonicus et teutonia. La teutonia peut être considérée comme une nation culturelle fondée sur le sentiment de l’appartenance commune et englobant l’ensemble linguistique et culturel allemand. Elle est préexistante aux Etats. Au début du XIème siècle apparaît en francique de l’Est le terme diutisc. Comme theodiscus et teutonicus, diutisc et sous sa forme moderne deutsch (=allemand), constitue le terme générique pour désigner la langue de tous les pays ou régions de la teutonia, qu’elle qu’en soit la forme régionale, austro-bavaroise ou alémanique, francique ou saxonne… parce que chacune de ces formes est issue du germanique de l’Ouest. Il définit dès l’origine la langue de tout un ensemble. Voilà pourquoi l’alémanique et le francique d’Alsace ou allemand dialectal alsacien ou encore « elsasserditsch » sont qualifiés d’allemands, parce qu’inscrits d’emblée dans ce schéma, à l’instar de l’alémanique en Pays de Bade ou en Suisse et du francique en Palatinat… parce qu’ils se situent tous dans l’aire dialectale de l’allemand. Voilà pourquoi l’Alsace, avant de devenir bilingue et peut-être un jour monolingue française, est une région de langue allemande. Cependant, au cours du même siècle, les termes thiudisca et diutischemi apparaissent pour la première fois pour désigner le pays : thiudisca liude, diutischemi lande. Puis le terme diutischin est employé pour signifier la langue, le peuple et le pays (concepts politiques) : diutischin sprechin, diutischin liute, in diutischin lande (Annolied 1090). Diutischin donnera teutsch puis deutsch qui seront, au cours des siècles suivants, de plus en plus utilisés au détriment de frencisg, auquel ils finiront par se substituer. Ils prendront une connotation identitaire de plus en plus forte, surtout à partir de 1500, autour de l’Empereur Maximilian et, en particulier, chez les humanistes alsaciens. A partir du XVIème siècle, l’aire dialectale allemande adopte définitivement une forme écrite commune, une langue de culture de référence, une koiné, à savoir le haut-allemand (Hochdeutsch), l’allemand moderne ou littéraire ou encore standard. Là aussi l’Alsace s’inscrit d’emblée et pour les siècles à venir dans ce schéma. Voilà pourquoi l’allemand, qu’il soit standard ou dialectal, est la langue régionale d’Alsace et, conséquemment, une des langues de France. De nos jours le terme deutsch désigne la langue de tous les pays de langue allemande, mais il ne désigne le pays et la nation que pour la seule Allemagne (Deutschland). Les termes français allemand et Allemagne viennent respectivement du latin alamanus et alemania. En français, tous les Allemands sont donc des Alamans et l’Alémanie est toute l’Allemagne. Comme en Alsace, toute l’Allemagne est encore improprement qualifiée de pays souabe (s Schwoweland) et tous les Allemands sont souvent appelés les Souabes (d’Schwowe). En conclusion : le mot (générique) allemand désigne tous les dialectes, qu’ils soient bavarois, saxons, suisses, alsaciens… et le standard. PK
(in Langues d’Alsace et pourquoi les Alsaciens renoncent-ils à leur bilinguisme/Sprachen des Elsass und warum verzichten die Elsässer auf ihre Zweisprachigkeit Editions Nord Alsace Haguenau, 2007)
Question de mot, mot en question : alsacien
Pierre Klein
Ce que l’on appelle de nos jours en français l’alsacien, le dialecte alsacien ou encore les dialectes ou le dialecte, certains vont même jusqu’à parler de langue alsacienne, et que l’on appelait ou appelle encore dans la langue même Ditsch (allemand) ou Elsasserditsch (allemand alsacien) et, de plus en plus, par traduction du français, Elsassisch (alsacien) est constitué d’un ensemble de dialectes qui, parce qu’ils sont des dialectes alémaniques et franciques, sont des dialectes de l’allemand, plus précisément du haut-allemand. Et, à ce titre, rien ne les distingue des autres dialectes allemands. Ils constituent une forme essentiellement parlée de la langue allemande, l’allemand tel qu’il se parle en Alsace : l’allemand d’Alsace, l’allemand alsacien, l’allemand dialectal alsacien, l’allemand.
Le mot alsacien, nom et adjectif, n’apparaît en langue française qu’en 1752, mais il ne devient usuel pour signifier la langue que dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Dans les pays et les régions de langue allemande où langue parlée et langue écrite sont historiquement et linguistiquement qualifiées d’allemandes, il n’est devenu utile de faire la distinction entre langue parlée (dialectes) et langue écrite (allemand standard) que lorsque le haut-allemand ou allemand écrit est aussi devenu une langue parlée. La langue écrite est alors appelée Hochdeutsch ou Schriftsprache. La langue parlée est appelée Dialekt dans les pays ou régions du Sud de l’aire allemande et Plattdeutsch ou Platt dans le Nord. Des références identitaires ont également vu le jour, par exemple Bairisch, Schwäbisch, Kölnisch ou Kölsch… Mais, quel que soit la dénomination, il est toujours sous-entendu qu’il s’agit d’allemand et jamais dialectes et langue standard ne sont dissociés. Il en allait, et dans une certaine mesure, il en va encore de même en Alsace. Cependant, d’autres réalités se sont surajoutées à ces réalités premières. L’Alsace, région de population allemande, étant devenue française, il devenait inacceptable qu’elle restât de langue allemande et nécessaire de faire passer l’allemand pour une langue étrangère. Pour cela il fallait découpler les dialectes de l’allemand standard et trouver un autre nom à ces mêmes dialectes, un nom ne faisant aucune référence à l’allemand. C’est ainsi que ce qui est de l’allemand deviendra peu à peu dialectes alsaciens, voire patois alsaciens, puis alsacien tout court. Le temps faisant son oeuvre, les Alsaciens devaient selon ce schéma finir par rejeter l’allemand standard, oublier ou ne plus accepter que leurs dialectes soient allemands, et puisqu’il ne s’agit que de pauvres dialectes, les abandonner. La dialectique était perverse. La réalité, cependant, résiste encore.
Petite chronologie du glissement sémantique d’allemand vers alsacien en passant par allemand alsacien, dialecte souabe ou alémanique, dialecte d’Alsace, patois alsacien, alémanique-alsacien, dialecte et même celte (à partir du Lévy) :
En 1697, l’Intendant De La Grange, dans ses mémoires sur la Province d’Alsace, note que « La langue commune de la Province est l’allemande ».
En 1792, une Adresse de l’Université de Strasbourg confirme ce constat lorsqu’elle indique que « les quatre cinquièmes des habitants du département du Haut-Rhin et la presque totalité de ceux du Bas-Rhin ont conservé leur idiome primitif. Nous parlons allemand » affirme-t-elle.
En 1790, le juriste alsacien Koch pose en principe qu’il « devient… indispensable que les actes publics du plus grand nombre de citoyens soient rédigés dans la langue du pays qui est l’allemande et que les officiers publics chargés de leurs rédaction connoissent parfaitement cette langue ».
Dans ses mémoires, la baronne d’Oberkirch (1754-1803) emploie, sans doute pour la première fois, l’expression allemand alsacien pour désigner les dialectes d’Alsace, lorsqu’elle écrit que « le bas-breton est mille fois plus éloigné du français que ne l’est du pur saxon notre pauvre allemand alsacien si dédaigné ».
En 1817/19, dans les Notices historiques, statistiques et littéraires sur la ville de Strasbourg de Jean-Frédéric Hermann, apparaît l’expression dialecte alémanique : « le véritable langage des anciens habitans de la ville de Strasbourg est le dialecte souabe ou alémanique ».
En l’an VII (1798), l’annuaire politique et économique indique « La langue allemande ou plutôt un allemand corrompu est encore l’idiome des habitants du Bas-Rhin ».
En 1806, comme pour infirmer ces dires, le pasteur J.J. Goepp, chargé de répondre à un questionnaire du Ministre de l’Intérieur demandant notamment « Si l’on a imprimé, dans ce dialecte d’Alsace quelques opuscules, soit en vers, soit en prose », relève que « En général toutes espèces d’ouvrages allemands qui paraissent en Alsace sont imprimés en haut-allemand. Par ce moyen et par l’instruction qui, dans les églises et dans les écoles, même dans celles de la campagne, se donne toujours en haut-allemand… il n’en est aucun qui ne l’entende et qui ne sache l’écrire jusqu’à un certain point ».
En 1815, dans un rapport, le préfet Kergariou réaffirme que « la langue allemande est vraiment la seule langue du pays. On peut estimer qu’un tiers de la population au plus sait le français et que la totalité parle ordinairement l’allemand ».
En 1823, un certain M.D.J.C. Verfèle (Lefevre), de passage en Alsace, emploie l’expression « patois alsacien » pour désigner la langue qu’il a dû supporter dans la région.
En 1838, dans un article resté célèbre et intitulé Wir reden Deutsch, Edouard Reuss écrit (traduction) « Nous parlons l’allemand. Sur le plan politique nous sommes français et nous voulons le rester… La vie politique allemande ne nous dirait plus rien… (mais) ils ne doivent pas empêcher nos enfants de nous parler dans la langue avec laquelle nous avons nous-mêmes parlé avec nos pères et mères ».
En 1856, on retrouve sous la plume de l’Inspecteur d’Académie Duval-Jouve l’expression patois alsacien et l’appréciation suivante « La langue du peuple est le patois alsacien qui n’est qu’un allemand incorrect ; l’allemand classique y est compris, c’est la langue des relations écrites ; c’est la langue dont la plupart des ministres des différents cultes se servent pour les instructions religieuses. »
En 1866, le rapporteur d’un vœu du Conseil d’arrondissement de Saverne souhaitant que les instituteurs se servent du bon allemand (=haut-allemand) et non pas du patois du pays pour l’enseignement de l’allemand déclare « Abandonnons-en la réalisation aux conquêtes que pourra faire la langue allemande pure (=haut-allemand), se substituant, dans un avenir plus ou moins éloigné, au patois alsacien ».
En 1870, Michelet utilise une argumentation nouvelle lorsqu’il écrit « L’Alsacien qui, avec un patois germanique, ne comprend pas l’allemand qu’on parle à une lieue… ». Après le dénigrement vient la distanciation par rapport à l’allemand.
En 1898, les créateurs du théâtre alsacien de Strasbourg emploient l’expression « alemanisch-elsässisch », alémanique-alsacien, pour préciser la langue dans laquelle les pièces seront produites.
En 1912, un certain Dr E.K. utilise le mot dialecte et dans un sens très dévalorisant lorsqu’il écrit « Le dialecte est absolument impropre à exprimer des idées quelque peu élevées. »
Pendant la guerre de 1914-1918, nous y sommes, le Général de Boissoudy se sert, sans doute pour une des premières fois, du terme alsacien lorsqu’il mit ses hommes en garde « contre l’injustice qui consiste à traiter injurieusement d’Allemands ou de Boches des hommes et des femmes… qui parlent allemand ou alsacien… ».
D’autres iront plus loin, tel Edouard Schuré, qui en 1921 défend la thèse que l’Alsace est celte et que le dialecte alsacien n’est pas d’origine germanique, mais celtique. C’est ridicule. D’autres iront même jusqu’à néantiser les dialectes.
En conclusion. Toute nomination de la langue est un parti pris, une représentation mentale. Rien n’est innocent : allemand, allemand alsacien, dialecte(s), dialecte(s) alémanique(s) et francique(s), dialecte(s) alsacien(s), alsacien… et tout a sa part de vérité. Cette polynomie est cependant révélatrice d’une certaine insécurité quant à la désignation de la langue régionale. Le glissement ou brouillage sémantique est principalement le résultat d’une idéologie hostile aux langues régionales.
Laissons le mot de la fin à un des Alsaciens les plus illustres et des plus dignes de foi, Albert Schweitzer (1875-1965) : « Deutsch ist mir Muttersprache weil der Dialekt in dem ich sprachlich wurzle deutsch ist ! » PK
(in Langues d’Alsace et pourquoi les Alsaciens renoncent-ils à leur bilinguisme/Sprachen des Elsass und warum verzichten die Elsässer auf ihre Zweisprachigkeit Editions Nord Alsace Haguenau, 2007)