Que cherche-t-on à nous faire gober sous le néologisme « bilangue » qui se veut un calque de « bilingue» lui conférant les mêmes valeurs dans l’enseignement des langues. C’est un miroir aux alouettes ! Quelle belle tromperie pour faire oublier, banaliser l’enseignement bilingue à horaire paritaire qui, dans la situation alsacienne est seul capable de former de véritables bilingues ?
L’enseignement « bilangue » serait donc aussi valable que l’enseignement bilingue à taux horaire paritaire ou encore que l’enseignement extensif serait aussi performant que l’enseignement intensif ou que l’enseignement de certaines matières en langue étrangère ! Qui veut-on séduire, convaincre ou gruger?
Nous connaissons tous les résultats de l’enseignement extensif des langues à raison de trois heures hebdomadaires dans l’enseignement secondaire. Quelles compétences orales et écrites nos bacheliers maîtrisent-ils au bout de sept années d’enseignement d’une langue étrangère ? Sont-ils capables de communiquer de façon relativement courante avec locuteur natif de la langue qu’ils ont apprise au cours de leur scolarité au secondaire ? Poser la question relève de la rhétorique ! Une enquête du Conseil de l’Europe, datant d’un certain temps, révèle que les élèves de différents pays ayant complété un cycle d’études secondaires sur un mode extensif« étaient incapables d’avoir une conversation suivie sur un sujet ou sur un thème d’intérêt commun avec un camarade de leur âge. »
Les choses se sont sans doute améliorées avec les approches communicatives actuelles, mais encore ! À mon avis, il ne faut trop s’en étonner. Si on analyse le temps de parole d’un élève au cours de sa scolarité, il ne faut pas s’étonner de sa piètre performance à l’expression orale !
Il y a une bonne vingtaine d’années, on a procédé au calcul du temps de parole d’un élève de sixième au cours d’une année scolaire complète. Il s’agissait d’une classe de 30 élèves utilisant une méthode audio-visuelle, à raison de 3 heures par semaine ce qui fait 105 heures d’enseignement / apprentissage pour toute l’année. Combien de temps, à votre avis, un élève de cette classe aura parlé individuellement ? On a procédé de la façon suivante pour enregistrer son temps de parole : chaque fois qu’il parlait, on comptabilisait 3 secondes, pour tenir compte du fait qu’au niveau débutant, un élève est incapable de produire une phrase complexe pour argumenter ou justifier son énoncé. Notons aussi au passage qu’il s’agissait d’une méthode audio-visuelle qui était déjà bien plus active et interactive que les méthodes traditionnelles.
Résultat des courses : l’élève a parlé pendant deux minutes trente secondes. « Et voilà pourquoi votre fille est muette » aurait dit Monsieur Molière ! Bien sûr, le procédé de cette étude peut paraître discutable, mais le fait est bien là, nos élèves, à la fin des études secondaires, dans notre système d’enseignement extensif, sont généralement incapables de communiquer même de façon élémentaire. Une autre étude plus récente du Conseil de l’Europe, déjà citée, montre qu’au bout de 7 années d’apprentissage d’une langue étrangère, chaque élève aura parlé individuellement en classe moins d’une demi-heure ! Apprendre à parler une langue étrangère demande un effort soutenu et suivi. Il s’agit d’une activité psychomotrice nécessitant un entraînement régulier pour la mise en place d’un nouveau système articulatoire à côté et souvent en opposition avec le système articulatoire de la langue maternelle.
Bien sûr, il y a des exceptions, les élèves les plus motivés ou ceux qui auront participé à des stages sérieux dans le pays de la langue cible n’entrent pas dans cette classe d’aphones en langues ! Il y aurait quand même beaucoup de choses à dire à propos de ces stages souvent considérés comme des vacances du genre « A nous les petites Anglaises » !! Le ministre de l’Education Nationale propose maintenant de généraliser les cours de langues d’été à tous les élèves qui aimeraient se perfectionner. « Voilà une idée qu’elle est bonne ! » Mais qui va assurer ces cours et comment vont-ils se mettre en place ? « Wait and see » comme disent nos voisins d’Outre-Manche ». Espérons qu’il ne s’agit pas seulement d’un effet d’annonce.
Il faut dire aussi que nos attentes, celle des enseignants, celle des parents, celles de la société en général sont trop grandes en ce qui concerne l’apprentissage de la communication orale dans le système scolaire. Il faut réviser nos attentes à la baisse ou alors augmenter drastiquement nos heures d’enseignement des langues. Je pense qu’une heure, chaque jour de classe serait un compromis acceptable pour acquérir une compétence de communication valable.
On est loin du fumeux « bilanguisme » ! L’idéal, si on peut employer ce mot pour un système scolaire est, bien entendu, l’enseignement bilingue paritaire dès l’école maternelle.
François Weiss